
Autrefois, il existait un temps où chaque matin, des enfants québécois et leurs parents, résignés à leur sort, plongeaient leur cuillère dans un bol de Lucky Charms avec un seul espoir : tomber sur une bouchée contenant ces précieuses guimauves multicolores. Ces minuscules symboles d’un bonheur artificiel, certes, mais ô combien réconfortant.
Mais voilà qu’un vent de changement souffle sur notre société – et pas pour le mieux. Dans une décision qui tient plus du capitalisme vorace que du simple malentendu, General Mills a osé toucher à l’intouchable : réduire la quantité de guimauves dans les Lucky Charms.
Oui, vous avez bien lu. Comme si l’on ne nous avait pas déjà tout pris, du vrai beurre dans les biscuits à la civilité dans les débats publics, voilà qu’on nous vole maintenant ce qui restait d’authentiquement magique dans un monde de plus en plus fade et aseptisé.
L’érosion du rêve québécois
La disparition progressive des guimauves n’est pas qu’une anecdote de comptoir. C’est une métaphore de notre époque. Jadis, les Québécois croyaient en un monde où l’on pouvait se réveiller et se dire : aujourd’hui, j’aurai mon fer à cheval, mon trèfle et peut-être même mon cœur rose dans une seule cuillérée. Ce rêve-là, on vient de nous l’arracher, morceau par morceau, tout comme on a grugé notre confiance envers les institutions, le filet social et le service de déneigement.
On nous dira que c’est une question de coût, que l’inflation fait des ravages, que la production des guimauves n’est plus ce qu’elle était. On nous servira les mêmes justifications qu’on entend chaque fois qu’on nous annonce que quelque chose va coûter plus cher et contenir moins de substance.
Mais qui, je vous le demande, se lève le matin en se réjouissant d’un bol rempli à 90 % de céréales fades ? Qui peut sérieusement croire qu’un enfant québécois, déjà coincé entre des directives de santé publique et un système scolaire qui peine à former ses enseignants, va supporter de voir son déjeuner réduit à une poignée de flocons insipides ?
Résister ou sombrer dans l’amertume
L’histoire des Lucky Charms est celle de notre résignation collective. Nous avons vu disparaître les cabanes à sucre familiales, les restaurants de smoke meat de quartier et la simplicité d’un monde où l’on n’avait pas besoin d’une application mobile pour commander une poutine.
Nous avons toléré la montée des produits « sans saveur », des emballages rétrécis, des hausses de prix arbitraires, et maintenant, on nous force à avaler un bol de déception chaque matin.
Mais peut-être est-il encore temps d’agir. Peut-être devons-nous nous lever – non pas pour prendre les armes, mais pour prendre notre portefeuille et dire haut et fort : « Sans guimauves, pas de Lucky Charms ! »
Le capitalisme triomphe lorsqu’il nous habitue à vivre avec moins, en nous faisant croire que nous n’avons pas d’alternative. Mais nous, peuple fier, devons-nous réellement accepter un avenir sans arc-en-ciels sucrés ?
Le jour où il ne restera plus qu’un seul flocon grisâtre flottant dans une mer de lait homogène, nous réaliserons que ce n’étaient jamais juste des céréales. C’était une question de dignité.
Et cette dignité, aussi sucrée et artificielle soit-elle, vaut la peine d’être défendue.